★ scars and souvenirs.12 juillet 2002
« Ele’ tu crois que je fais une erreur ? Genre la pire de ma vie ?! » Elle fait les quatre cent pas dans la pièce, ruinant déjà ses chaussures de mariée. Je lève les yeux au ciel tellement la question est idiote, mais elle allait finir par me faire stresses aussi avec ses doutes de dernière minute. J’avais entendu parler du stress prénuptial mais n’aurais jamais imaginé qu’il était vrai à ce point. Je soupire tout en me voulant rassurante.
« Rose, arrête, calme-toi, ok ! Respire … » lui dis-je tout en lui faisant signe de s’asseoir à côté de moi dans le divan. Sa robe de mariée gonfle aussitôt et je dois presser un coup de main dessus pour aplatir le jupon. J’avais envie de lui répondre que c’était son problème si elle voulait passer le restant de ses jours avec un crétin fini mais ce n’était visiblement que mon propre avis, et surtout, ce n’était pas le moment de plaisanter à ce sujet. Mon regard se riva sur Scarlett, trois ans et des poussières, qui se tenait debout devant le miroir, mignonne comme tout dans sa petite robe rose pâle. Je pris les mains de ma meilleure amie et plongeai mes yeux dans les siens, décidée à la rassurer une bonne fois pour toute.
« Andreas et toi faites les choses bien depuis quatre ans. Ce mariage n’est qu’une suite logique à votre histoire. Il s’agit simplement d’officialiser votre amour aux yeux de votre famille et de vos amis, et surtout aux yeux de Scarlett. Il est trop tard pour se poser ce genre de question, ma belle, et puis si tu faisais une erreur, tu l’aurais su depuis des années. Il n’y a que toi pour juger les gens à leur juste valeur en un regard. Andreas est l’homme de ta vie depuis le premier jour, tu n’arriveras pas à me faire croire le contraire. Alors laisse ces bêtes questions de côté et concentre-toi sur aujourd’hui, sur votre bonheur à tous les deux … à tous les trois. » Surtout, ne pas pleurer ! Je me surprends moi-même à me retrouver émue face à ces paroles, surtout d’avoir dit autant de bien en quelques secondes à peine concernant son futur mari. Je la serre dans mes bras, elle semble plus sereine. Je lui souris, me lève et prends mon rôle de demoiselle d’honneur et de nounou. Je lui tends son bouquet et confie le panier de pétales de roses à la fillette. Quelques minutes plus tard, je remontais l’allée devant Rose, ma meilleure amie, sa fille me tenant la main. Mon regard croise celui du marié. Je me dis que finalement, ce gars doit avoir un bon fond, sinon Rose ne l’aurait pas aimé autant. Et puis c’est un bon père, ils forment un beau couple, une belle famille. J’aurais tord de ne pas croire en eux et à leur bonheur. Ils finissent par se dire oui, et j’espère qu’il est conscient que je lui confie la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie.
31 janvier 2010
La neige tombe avec abondance sur la ville et je suis là, sous les flocons, emmitouflée dans ma doudoune, le nez sous l’écharpe, avec le vent qui me glace les joues. J’ai les doigts gelés et mon souffle n’arrive plus à les sécher. J’erre dans les rues alors que je suis persuadée que tout le monde s’est réfugié chez lui au coin du feu, collé au radiateur ou calée dans son divan sous un plaid épais. Je ne sais pas où je vais, ni même pourquoi je reste là. C’est un peu comme une punition, comme si je pensais que je l’avais mérité. Ou bien peut-être pour réaliser ? Mettre de l’ordre dans mon esprit. Il n’y avait en tout cas pas d’ordre à mettre dans ma vie. Tut était clair comme de l’eau de roche, attendu, prévisible. Malheureusement, ma vie ne ressemblait en rien à ce que j’avais prévu qu’elle soit. Mes doigts dans ma poche frôlent un bout de papier. Je le sors, le déplie et le regarde d’un œil suspect. Encore l’une de ces foutues listes. Je la déchire, la laissant s’envoler derrière moi. Tout ça ne sert à rien. Les projets, l’ambition, pas pour moi. Plus maintenant. J’ai trente ans, enfin presque, dans un mois à peu près. Pas de mari, encore moins de petit ami. Pas d’enfant non-plus. Alors j’avais décidé de prendre les devants. De foncer tant que je n’étais pas coincé dans une vie avec des obligations, et surtout tant que mon horloge biologique me le permettait. On entend beaucoup de femmes regretter après de ne pas avoir passé le cap. Moi, je m’étais décidée, à faire un enfant toute seule. C’était avant que tous mes espoirs s’envolent d’un coup, quelques minutes plus tôt, dans les paroles de mon gynécologue. Stérile. Je n’étais décidément bonne à rien, pas même à faire un enfant. Le froid me piquait la peau, mais c’était comme si je ne sentais rien. Je relevai le regard pour me situer dans la ville et tombai face à l’enseigne d’un chenil. Sans vraiment comprendre pourquoi, je me dirigeai vers la vitrine et poussai la porte du centre d’adoption canin. La chaleur qu’il y faisait me piqua au vif et semble me réveiller. Un léger sourire commença à se dessiner sur mes lèvres lorsque je compris le sens de tout cela. Le lendemain, je repassais chercher Splash, mon Bouvier Bernois.
14 octobre 2012
La sonnerie retentit dans les couloirs, les élèves rangent leurs affaires dans leurs sacs et quittent leurs salles de cours. Je replie le bouquin ouvert à la page soixante-deux et reviens vers mon bureau. Quelques secondes plus tard, la classe est vide et je range mon propre bureau. Je sens une présence dans l’encadrement de la porte, relève le nez et aperçois Scarlett. Je lui souris mais son visage est fermé, ce qui m’inquiète.
« Maman ne reviendra pas. C’est fini. » et en voilà l’explication. Ma bouche se crispe, je lui fais signe d’entrer bien qu’elle se sente déjà comme chez elle. Elle s’assied sur l’une des tables et continue sur sa lancée.
« Papa a oublié de cacher les papiers du divorce, je les ai vu sur la table de la cuisine. Elle a déjà tout signé. » Aïe. Ça fait mal et je la comprends. Bien que je sois déjà au courant puisque Rose m’en avait parlé avant elle. Et puis c’était la gente féminine qui devait se frotter les mains de voir ce bel étalon à nouveau sur le marché. Je reste attentive à elle.
« Je la déteste. » Je sais qu’elle ne le pense pas. Je fais un pas de plus vers elle.
« Tu ne peux pas dire ça ma puce, je comprends que les choses soient compliquées entre vous ces derniers temps, mais de là à dire que tu la détestes … » Mes propres parents étaient séparés. Si je n’avais pas souffert de leur séparation sur le coup puisque j’étais trop jeune, elle m’avait pesé quelques années plus tard, parce que je n’avais pas ma mère auprès de moi, et que je ne la voyais que quelques semaines par an. Elle avait au moins la chance que ses deux parents vivent toujours dans la même ville.
« Oh, bien sûr, j’aurais dû m’en douter, t’es de son côté ! » Je lève les yeux au ciel. Les ados et leurs suppositions à deux balles. Mais ma filleule n’a pas besoin que je la lâche. Pas en ce moment.
« Je ne suis du côté de personne, Scarlett. Rien n’est jamais tous blanc ou tout noir, encore moins dans les histoires d’amour. J’aimerais bien aider ta mère à ce sujet, mais tu sais mieux que moi que je ne suis pas la meilleure placée pour donner des leçons. » Elle sourit en comprenant que je faisais allusion à mes propres histoires d’amour plus désastreuses les unes que les autres. S’il y en avait bien une qui enchainait la poisse dans ce domaine, c’était moi ! Je n’allais pas lui sortir le discours à deux balles concernant le fait que leur amour envers elle ne changeait pas, qu’ils l’aimaient toujours autant et que ce n’était pas de ça faute, malgré que toutes ces choses soient vraies, elle ne les entendrait pas.
« Je ne peux pas te dire que ça ira mieux demain, ce n’est pas vrai. Mais fais-moi confiance, le temps fera que ça ira mieux. Ça ne sert à rien d’en vouloir à ta mère, ni même à ton père. La meilleure chose que tu peux faire pour eux, c’est de respecter leur choix. Crois-moi, ce n’est pas facile pour eux non-plus. » Il fallait qu’elle comprenne qu’au final, chacun d’eux en souffrait à sa manière. Je jetai un coup d’œil à me montre.
« Je te ramène chez toi ? » lui proposais-je, certaine que la conversation continuerait dans la voiture.
9 août 2015
19h45 …J’ai mis un certain temps à me décider sur ce que j’allais regarder à l’affiche. Mon choix se porta finalement sur Ted 2, le genre de film où on rigole et sur lequel il ne faut pas trop se concentrer. De toute manière, je ne suis ici que pour passer le temps et éviter de ruminer. J’entre dans la salle ma bouteille de
Coca Light dans une main et mon
Magnum Pink dans l’autre. Une vraie femme au cinéma. Je m’avance vers les rangées plus basses et proches de l’écran.
« Eleanor ?! » Je me stoppe net, reconnaissant cette voix entre mille. Je ferme les yeux et les rouvre aussitôt.
Merde. C’est bien moi qu’il appelle ? Je me retourne. Pas de doute, avec ses grands signes, c’est bien moi qu’il appelle. Je remonte quelques marches pour arriver à hauteur de sa rangée et le saluer.
« Tu attends quelqu’un ? » sa question me surprend, pourtant, j’aurais presque posé la même.
« Euh …. nn … non, et toi ? » Oh, pitié, ne me dites pas que je vais être spectatrice de l’un de ses rencards avec sa nouvelle maitresse. Je ne saurais cacher ce secret à Rose bien longtemps.
« Non-plus. » Premier soulagement. Il me sourit presque de toutes ses dents et finit par me proposer de me joindre à lui. Étonnant au premier abord, mais j’acceptai. Nous parlions un peu de tout et de rien quand le film commença, nous plongeant dans le silence. Je me permis de piocher dans son paquet de pop-corn, frôlant par la même occasion sa main. Je rougis, heureusement qu’il faisait noir. Je me renfonçai dans mon siège, ne comprenant pas vraiment ce qui m’arrivait. Sa présence n’était pas dérangeante, je serais même contente de l’avoir croisé ici.
4 heures plus tard …« Un Tequila Sunrise, sans le jus d’orange, ni la grenadine, mais avec les glaçons. » Le barman me regarde d’un œil suspect. Oui, une tequila pure, quoi ! Il faut dire que j’en suis déjà à mon troisième cocktail, j’en ai un peu marre des fioritures, et puis le peu de pop-corn que j’avais dans l’estomac avait déjà fondu. Je n’aime pas les lendemains de beuverie, certes, mais ce soir, c’est particulier. Le verre arrive en face de moi, je m’en empare presque aussitôt. L’alcool me brûle l’œsophage mais je ne sens presque plus rien.
« Madame Summers ?! » Je manque de recracher le contenu de mon verre. Un élève ? Pas ici quand-même ?! Ces gamins n’ont pas l’âge de consommer de l’alcool. Je me tourne timidement vers la voix qui s’est adressée à moi. J’écarquille les yeux lorsque s’affiche en face de moi un bel Apollon, dents blanches, mâchoire carrée, légère repousse de barbe, muscles sous une chemise stretch, regard bleu perçant à vous faire fondre. Je peine à trouver mes mots tandis que ma mémoire carbure pour retrouver le nom de cet ANCIEN élève.
« Alex ! Tu … tu as bien grandi dis donc ! Qu’est-ce que tu fais ici ? » Si je m’attendais à le revoir ici et maintenant, que ce soit lui ou un autre élève, je n’aurais jamais bu autant.
« La même chose que vous, je suis sorti avec quelques amis. » Il me montre du doigt la table de ses copains de beuverie qui me font signe, rient à gorge déployée et commencent à se faire des messe-basses alors que de toute façon, malgré le bruit et la distance, je ne peux entendre ni comprendre un mot de ce qui se dit dans mon dos. À la différence de lui, je suis seule. Terriblement seule.
« Je vais jouer franc jeu avec vous. » Il attire mon attention avec ces simples mots alors que j’essaye d’avoir l’air concentrée afin de ne pas perdre ma dignité de prof.
« Ils ont parié, et je gagne 200 £ si je parviens à vous faire la conversation pendant une heure. » Ça fait un sacré paquet d’argent. J’arque un sourcil et lui présente le tabouret à côté de moi.
« Et bien qu’est-ce que tu attends pour prendre place ? » J’aime bien ce genre de jeu, j’en étais adepte, moi aussi.
« Mais entendons-nous bien, c’est toi qui paye les verres. » Il fallait bien que je gagne quelque chose dans l’histoire. Il me sourit et conclut le marché. J’appris dans les minutes suivantes qu’il avait vingt-trois ans aujourd’hui –ce qui soit dit en passant ne me rajeunissait pas–, qu’il faisait des études d’architecte, qu’il rentrait en dernière année dans quelques semaines, qu’il était célibataire, sportif, ambitieux, et j’en passe.
Le lendemain matin … « Franchement, tu peux me dire ce qui cloche chez moi ? » J’entrai en furie dans mon appartement alors que le soleil se levait encore dehors. Splatch releva la tête et soupira, comme s’il était conscient du sens des paroles que je lui disais. Je portai ma main à mon front tout en balançant mon sac à main sur la table de la salle à manger.
« C’est marqué sur mon front peut-être ? » Ou encore comme si j’avais un écriteau autour du cou indiquant clairement :
C’est elle, la femme vers qui vous pouvez aller si vous voulez foutre le bordel dans sa vie ! Me rapprocher de l’ex-mari de ma meilleure amie et après ça coucher avec un ancien élève n’était décidément pas une solution, ni même quelque chose d’envisageable dans mon quotidien. Ces éléments, ces deux hommes ne faisaient PAS partie de mes listes.